Assurance vie
Le Private Equity dans l'épargne retraite : une obligation qui fait jaser
Depuis fin 2024, tout nouveau plan d’épargne retraite en gestion pilotée comporte d’office une part de private equity. Derrière cette réforme technique se cache une question de fond : peut-on contraindre les Français à investir dans des actifs risqués ?
Depuis octobre 2024, une mesure passée relativement inaperçue bouleverse discrètement le paysage de l’épargne retraite en France : l’intégration automatique du capital-investissement (private equity) dans les nouveaux plans d’épargne retraite (PER) sous gestion pilotée. Un changement technique en apparence, mais qui amorce une transformation profonde du lien entre épargnants et finance non cotée.
Le principe est simple : dès qu’un PER est ouvert en gestion pilotée – le mode par défaut pour la grande majorité des nouveaux souscripteurs – une part de l’épargne est désormais fléchée vers des fonds de private equity, sans que l’épargnant ne doive le demander. L’objectif affiché est double : diversifier les allocations tout en finançant les PME françaises, via des instruments d’investissement à long terme. Mais cette stratégie volontariste suscite un malaise croissant chez de nombreux observateurs.
Car le private equity n’est pas un produit comme les autres. Cette classe d’actifs, jusqu’ici réservée à des investisseurs aguerris ou fortunés, présente plusieurs spécificités qui peuvent heurter un grand public non averti : faible liquidité, horizon d’investissement très long (souvent entre 8 et 10 ans), absence de cotation en continu, valorisation discrétionnaire des entreprises non cotées… autant d’éléments qui complexifient la lisibilité de ces produits.
Une forme de paternalisme financier
Pour Laurent Chaudeurge, membre du comité d’investissement chez BDL Capital Management, cette réforme revient à faire prendre un risque non consenti à l’épargnant moyen : « C’est une forme de paternalisme financier, justifiée par une intention louable — soutenir les PME — mais dangereuse dans sa mise en œuvre. On impose un choix d’allocation sans en donner les clés de compréhension. »
Le paradoxe est que cette décision arrive à un moment de bascule pour le private equity. Après une décennie d’euphorie, marquée par des taux bas, des valorisations élevées et des levées de fonds records, le secteur est entré dans une phase de transition plus incertaine. Les conditions de sortie (cession ou introduction en Bourse) se sont durcies, les valorisations sont sous pression, et les performances tendent à se normaliser. En clair : on impose aux épargnants d’embarquer sur un navire au moment précis où la mer devient agitée.
Entre finance utile et contrainte invisible
Cette réforme soulève aussi une interrogation philosophique : faut-il opposer finance cotée et finance non cotée ? L’idée selon laquelle seule la finance non cotée serait « utile » à l’économie réelle laisse perplexe. Des entreprises cotées comme Hermès, Air Liquide ou Trigano participent activement au financement de l’économie productive, tout en offrant aux épargnants une liquidité quotidienne, une information régulière et une protection réglementaire.
L’objectif de diversification est légitime, mais doit-il se faire par la contrainte ? Pour beaucoup, le bon usage du private equity dans l’épargne repose sur un principe fondamental : le consentement éclairé. L’investisseur doit comprendre les caractéristiques de ces placements, pouvoir en mesurer les risques et arbitrer en fonction de ses projets de vie. Or, dans le cas des PER à gestion pilotée, ce choix devient implicite, et presque invisible.
Un équilibre à réinventer
Le débat ne fait que commencer. Si l’intention est de flécher davantage l’épargne vers l’économie productive, encore faut-il accompagner cette ambition d’un effort pédagogique fort. La transparence des supports, la lisibilité des frais, et la capacité à sortir partiellement en cas de besoin seront des points cruciaux pour ne pas transformer une innovation stratégique en bombe à retardement sociale.
La réforme du PER, en l’état, confond parfois objectif stratégique et libre arbitre de l’épargnant. Le capital-investissement peut jouer un rôle utile, mais à condition d’être choisi, non imposé.